Jésus, en remontant des eaux, vit les cieux se déchirer, nous dit Marc.
L’image est impressionnante. Déchirer, c’est l’idée de quelque chose de fort, qui permet à quelque chose de caché de se montrer : c’est marquant. S’il s’agit des cieux, soyons en sûr, nul phénomène météorologique ici. Mais de quoi faire signe : Dieu se manifeste.
Un message tout de suite décodé pour qui connaissait les paroles des prophètes. Un événement attendu en effet, par le peuple de Dieu qui y retrouvait la réponse à une parole d’Isaïe, interpellation adressée au Seigneur. Nous sommes ton peuple : « Ah, si tu déchirais les cieux et descendais ! »
Et bien Dieu est descendu. Jésus est venu sur terre pour nous accompagner sur nos routes terrestres. Les cieux se déchirent au jour de son baptême pour faire entendre la voix du Père. Il dit tout l’amour qu’il a mis en son Fils. Il nous le dévoile : c’est le Père lui-même qui nous présente Jésus.
Et ensuite…vous pourriez demander ce que cela change !
Prenons la lecture du prophète Isaïe d’abord, et relue en pensant au baptême de Jésus, cette venue dans le monde du Fils de Dieu nous parle. Isaïe annonce une richesse, une générosité. Vous tous qui avez soif, commençait par dire la prophétie. J’imagine l’eau que présente le Seigneur, des flots abondants. J’imagine en comparaison, les eaux du Jourdain : elles en sont encore une pâle figure. Une image pour parler de ce qui vient du cœur de Dieu, sa bonté. Mais avec Jésus on passe de l’image à la réalité de cet amour qui se dira en actes.
Sans qu’on ne le mérite, sans qu’on ne doive rien payer, venez manger et boire. Celui qui reconnaît qui est Jésus retrouve cette bonté en lui : elle se réalise en lui. Ce texte d’Isaïe dit la richesse de ce qui vient de Dieu, avec l’image de la nourriture, de ce qui fait la joie et la force. Dieu nous fait comprendre la gratuité de l’amour. Pas d’offrande ou de sacrifice pour que Dieu soit favorable. Dieu se laisse trouver, il se montre dans sa bonté, il déchire les cieux pour nous le dire. Ce que cela change. Avouons combien nous sommes souvent entrain de calculer ce qu’il nous faut, ce que nous avons, ce dont nous devons disposer. Venez boire et manger sans rien dépenser, invite le prophète. Traduisons. La vie est un don, et il y a à redécouvrir toute la richesse de la relation avec celui qui nous la donne. Posons-nous la question de cette relation que la recevoir nourrit sans cesse. Se reconnaître enfant de Dieu est une manière d’accueillir davantage ce don, car c’est un amour qui invite à répondre en aimant.
Bien des phrases de la deuxième lecture demanderaient réflexion. Une de ces phrases fait miroiter un salut, une victoire mais il faut préciser. Celui qui croit en Jésus Christ est vainqueur du monde. Le monde ? Qu’est-ce à dire ? Si on imagine les premières communautés chrétiennes, on imagine l’empire romain, les contraintes d’une domination par un pouvoir qui n’entend rien à l’esprit religieux. Difficile dialogue avec ceux qui suivent la Torah des Juifs, d’abord, et encore plus difficile si on fait valoir la nouveauté radicale dont témoignent les disciples de Jésus : ils disent, chose incroyable, que leur maître est ressuscité. Que d’oppositions en perspective.
Et le monde pour nous ? Si on sent le contexte d’un combat, on en vient vite à mettre derrière ce mot de « monde » un système qui écrase, dans lequel on se sent comme un maillon obligé de suivre le mouvement maintenu par de multiples chaînes. Si on fait une critique de notre société, serions-nous vainqueurs par Jésus, vainqueurs de ce monde-là, critiquable, en crise aussi, qui montre souvent ses limites ? Nous serions dans l’erreur, cependant, de nous croire suffisamment à l’extérieur de ce monde, pour nous penser sans connivence avec ce monde-là. Ce serait trompeur de penser que la victoire de Jésus est simplement la victoire de se savoir bon par rapport aux autres qui ne le connaissent pas et qui alimentent et font perdurer un système injuste.
La foi est une attitude critique. La victoire de Jésus est une victoire qu’il mène en nous, par rapport à ce que des tendances injustes présentes dans les affaires humaines, peuvent avoir de contraire à nos aspirations les plus profondes. Notre Baptême, pour porter tous ces fruits, demande encore de s’en remettre au Seigneur, de le chercher, sûr qu’il se laisse trouver pour nous aider à vaincre en nous et autour de nous ce qui s’oppose à l’amour.
On ne peut pas dire « j’ai vaincu le monde » parce que l’on croit, comme si croire n’était qu’une idée. Repensons à cette image : « les cieux se déchirent. » Sans doute pour nous rappeler que les pensées de Dieu ne sont pas celles des hommes mais qu’elles se dévoilent, qu’elles se font connaître. Plus que seulement des pensées, en Jésus, qui est ce don du ciel venu dans la vie des hommes pour les soutenir dans les obstacles de leur vie terrestre, une force nouvelle se fait connaître. La foi, se laisser soutenir par cette force, est une manière d’être, c’est une liberté pour agir autrement, pour avoir un cœur plus entier tourné vers ce qui est juste et trouver la force dans cet engagement pour ce qui est bon.
En ce jour du Baptême du Christ, imaginons que le ciel continue à se déchirer, souvent, parce que Jésus est là quand nous rencontrons quelqu’un que le Père nous envoie comme notre prochain et que ce Père pour lui et nous l’éclaire de son amour pour lui, un amour qui engage le nôtre Oui, le Père nous montre son enfant quand c’est notre prochain qui se présente, quelqu’un dont nous oublions justement qu’il faut y être plus attentif. Il faut le reconnaître comme un enfant aimé du Père des cieux, il faut sans doute aussi en être le témoin pour lui. Ainsi, répondons au Seigneur qui se laisse trouver dans l’amour partagé où il nous appelle et nous rejoint.
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