En relisant la première lecture, nous pouvions nous demander où devait aller notre attention, essayant de nous imaginer en Jonas, à propos de son appel, de ses réactions. Je pense qu’on peut aussi s’imaginer du côté des Ninivites, appelés par Jonas à la conversion. Il est vrai que si nous nous rappelons l’histoire de Jonas, son cœur souvent contrarié quand le Seigneur l’appelle, il sera aussi le miroir de certaines de nos contrariétés, on va le voir. Attendons-nous alors qu’on trouve dans l’appel que Jésus, au début de sa mission, lancera à ses disciples, de quoi renouveler chacune de nos réponses au Seigneur.
Lève-toi et va vers Ninive ! Voilà Jonas, qu’on connaît en Israël comme prophète, appelé pour aller prêcher la conversion. Surprise pour lui : il n’est pas envoyé vers le petit peuple d’Israël, ce peuple élu qui se souvient souvent mais pas toujours de l’alliance avec le Seigneur. Jonas doit plutôt aller vers la grande ville de Ninive, vers des païens. Jonas ne doit pas vraiment comprendre. Il imagine que si Ninive se convertit vraiment, si Dieu lui est alors favorable, Ninive deviendrait alors plus puissante qu’Israël. Dieu se moquerait-il de Jonas en l’envoyant demander une conversion qui pourrait remettre tellement de choses en question ? Jonas refusera d’abord mais de nombreuses péripéties l’amèneront à sa mission de prophète pour Ninive : il marchera dans les rues de Ninive pour demander la conversion.
En voyant aujourd’hui la place des chrétiens dans le monde occidental, en estimant quelle place la référence à Dieu et à la foi peut avoir dans le cours des affaires du monde, on serait vite comme Jonas. Le Seigneur nous appelle, mais nous nous ne comprenons pas s’il nous demande de changer le cœur des capitalistes endurcis dans leurs principes, nous risquerions de paraître bien peu de choses face aux grands de la finance ou face à tous ceux qui, quoiqu’ils en disent se laissent conduire comme des moutons, par tout ce que la société de consommation nous fait croire pour arriver à ses fins. Que leur dire, alors que nous nous faisons aussi tellement avoir.
Plutôt que de paraître ridicules, comme Jonas, partons où bon nous semble, là où il nous semble que la parole du Seigneur serait mieux reçue. Prêcher à des convaincus ? Mais ce n’est pas ce que le Seigneur nous demandait. Ce n’est pas là l’histoire de Jonas, c’en serait une nouvelle version, mais cela dit qu’il y a une audace incroyable à avoir, dans la foi d’un prophète et des prophètes que nous sommes ou pourrions être.
La conversion, le fruit d’un témoignage, ne dépend pas que de nous. Soyons sûrs que c’est le Seigneur qui attend la conversion et qui y travaille plus que la pertinence ou le poids de nos propos, et ce sera plus juste. Mais cela demande déjà une véritable conversion. Dans l’histoire de Jonas, l’incroyable, l’inattendu s’est produit. Les gens de Ninive changent et se tournent vers Dieu. En fait, Jonas en est exaspéré. Mission accomplie malgré lui. Son cœur contrarié peut être miroir du nôtre dans différentes circonstances.
Nous croyons parfois viser ce qui est juste par notre bon sens. Le cours des choses qui pourtant, ne devrait pas échapper à Dieu, devrait nous donner raison ! Et bien non. Si le Seigneur nous prend comme prophètes, c’est que le bon sens, la sagesse ne mène pas le monde, et c’est pour cela qu’il faut nous tenir à l’écoute des appels du Seigneur, en revenant sans cesse à un message Dieu est miséricorde, il est miséricorde, pardon, pour tous.
L’histoire est faite trop souvent de cruautés, d’accidents par rapport à la normale, de choses qui ne devraient pas avoir lieu. L’histoire sainte, l’histoire de l’alliance de Dieu avec les hommes, est faite de ce qui console, de ce qui relève, de ce qui rend forts après des chutes. Voilà la Bonne Nouvelle à annoncer. Après avoir parlé de Jonas et de son cœur mitigé alors que les gens de Ninive vont se convertir, tournons-nous vers Jésus qui est en personne ce message de miséricorde de Dieu adressé à tous. Les temps ne sont pas meilleurs, il y a toujours une ville de Ninive à convertir, il y a l’empire romain qui empoisonne le peuple juif, il y a des païens qui vivent sans s’inquiéter de ce que Dieu attendrait d’eux. Ce n’est pas mieux mais pour celui qui veut annoncer l’amour de Dieu, l’appel à lancer n’attend pas. Les temps sont accomplis. Traduisons, comprenons ce que cela veut dire. Il y a non seulement urgence parce que la situation ne doit plus se dégrader, mais il y a surtout la présence de Dieu, Dieu est là maintenant, toujours à l’œuvre pour que son amour fasse des merveilles, relève des humbles, réconforte les cœurs blessés.
En contraste à la figure de Jonas, il y a les premiers disciples : l’attitude de Simon et André, de Jacques et de Jean traduit par des faits qu’il ne faut pas attendre, que Jésus est celui qui vient sauver, qui vient repêcher ceux qui ont besoin d’une deuxième chance. Je parle de repêcher, je parle de deuxième chance, ce n’est pas dans l’évangile. Dans un monde en crise, dans des crises comme celle que nous vivons avec la pandémie, dans l’oubli de l’intériorité, dans l’indifférence de beaucoup aux grandes questions de société qui les impliqueraient davantage, une mission comme prophète pour aujourd’hui, ne serait-elle pas repêcher ceux vers qui le Seigneur nous envoie, en tout cas.
Plutôt que de répéter, de se complaire à dire avec les gens, comme une voix anonyme, tout est foutu, la situation est grave et désespérée, le Seigneur compte sur nous pour que la force de l’espérance soit active. Il compte sur notre voix qui pourrait faire résonner la sienne. L’espérance, c’est autre chose que les calculs, les travaux de recherche pour trouver des solutions techniques : solutions médicales ici, solution financières ailleurs. Initiatives citoyennes au nez des politiciens enfermés dans un fonctionnement institutionnel trop déshumanisé ailleurs. Il faut encore autre chose. Jonas malgré lui, les premiers apôtres, Simon, André, Jacques et Jean, sans attendre, nous le disent. Dieu est présent, le temps où il fait grâce est là, répondons lui et allant plus loin sur le chemin de notre conversion, que notre vie soit un signe pour faire grandir la foi autour de nous, et l’Esprit divin, le Souffle que Dieu nous donne, portera du fruit.