La première lecture est tirée du Lévitique. Ce livre remonte à une époque où, estimant important de faire valoir l’alliance de Dieu avec son peuple, un rôle important était joué par les prêtres pour des rituels de pureté. Ce qui donnera de grands débats, plus tard, entre Jésus et les spécialistes de la Loi. La première lecture de ce dimanche introduit l’évangile qui rapporte un cas de guérison de la lèpre par Jésus. Nous ne pouvons pas comprendre l’importance de ce miracle si nous ne connaissons pas le contexte dans lequel Jésus a agi : car les prescriptions de la loi du Lévitique concernant les lépreux étaient encore en vigueur de son temps.
Ces prescriptions nous paraissent rudes : quand on a le malheur d’être malade, c’est évidemment une souffrance supplémentaire d’être un exclu. Or c’était très strict ; dès que quelqu’un présentait des signes d’une maladie de peau évolutive du type de la lèpre, il devait aussitôt se présenter au prêtre qui procédait à un examen en règle et qui décidait s’il fallait déclarer cette personne impure ; la déclaration d’impureté était une véritable mise à l’écart de toute vie religieuse, et donc à l’époque, de toute vie sociale. Ainsi exclu de la communauté des vivants, le lépreux lui-même portait son propre deuil (vêtements déchirés, cheveux en désordre).
Quand le malade pouvait se considérer comme guéri, il se présentait de nouveau devant le prêtre, lequel procédait à un deuxième examen très approfondi et déclarait la guérison et donc le retour à l’état de pureté et à la vie normale. Vu la manière dont la lèpre est contagieuse, la sagesse imposait donc la prudence pour préserver le reste de la population. Il en allait de l’intérêt collectif.
Ce que l’on vit pour l’instant, toute les mesures sanitaires, les mises en quarantaines relèvent du même principe de précaution.
Par ailleurs, spontanément on pensait dans le peuple de l’alliance que la maladie est toujours la conséquence d’un péché. Car Dieu est juste, mais une conception pour ainsi dire arithmétique de la justice : les hommes bons sont récompensés à proportion de leurs mérites et les méchants sont punis selon une juste évaluation de leurs péchés. Cette loi que l’on appelle parfois la « logique de rétribution » ne souffrait, pensait-on, aucune exception. Au point que, devant une personne malade, on déduisait automatiquement qu’elle avait péché. Il y avait donc, là encore, une autre contagion à éviter. C’est pour cela, d’ailleurs, que le lépreux devait s’adresser au prêtre (et non au médecin !) pour déclarer la maladie aussi bien que la guérison.
L’évangile, pour être bien reçu demande qu’on soit au courant de ce qui était permis ou non, et pourquoi. D’ailleurs, Jésus aura, dans l’évangile de Marc, toute une polémique à propos des prescriptions qui concernent la pureté, qui enferment, on l’a compris, dans une logique d’exclusion, de condamnation. Ainsi, quand Jésus et ce lépreux passent à proximité l’un de l’autre, ils doivent à tout prix s’éviter ; ce qui veut dire aussi, et qui est terrifiant, si on y réfléchit, que, du temps de Jésus, on pouvait être un exclu au nom même de Dieu.
Le lépreux n’aurait donc jamais dû oser approcher Jésus et Jésus n’aurait jamais dû toucher le lépreux : l’un et l’autre ont transgressé l’exclusion traditionnelle, et c’est de cette double audace que le miracle a pu naître. Voilà une Bonne Nouvelle qui n’aura jamais été racontée si la loi n’avait pas été transgressée. Cela donne à réfléchir : la Bible dit la loi telle qu’elle s’est présentée, tout n’y est pas dit et il faut discerner pour se mettre dans l’esprit de la Loi. La loi a ses limites, quand elle semble plutôt suppléer à l’impuissance des hommes, comme devant la maladie. Jésus vient pour accomplir la loi, pour y inscrire la toute-puissance de l’amour. C’est tout différent : c’est vraiment dire comment, pour être fidèle à Dieu, la loi ne peut pas masquer la reconnaissance d’un être aimé par Dieu. Jésus nous le révèle. C’est un chemin qu’il nous dresse là pour voir l’importance des précautions eu égard à ce que demande l’amour de toute personne. C’est une manière de parler du Royaume qu’il est venu inaugurer. Oui, il y a encore une loi, mais elle ne peut être appliquée qu’en tenant compte de la miséricorde de Dieu, parce que sa loi, le livre du Lévitique le disait déjà, c’est d’imiter sa miséricorde, sa bienveillance. La description du monde nouveau dans lequel « les lépreux sont purifiés » est vraiment une « Bonne Nouvelle » pour les pauvres : non seulement les malades et autres lépreux sont guéris, mais ils sont « purifiés » au sens de « amis de Dieu ».
Ce qui veut dire que si l’on veut ressembler à Dieu, être comme le Dieu qui « entend la plainte des captifs et libère ceux qui doivent mourir » (Ps 101/102), il ne faut exclure personne, mais bien au contraire, se faire proche de tous. Ressembler au Dieu saint, ce n’est pas éviter le contact avec les autres, quels qu’ils soient, c’est développer nos capacités d’amour. C’est très exactement l’attitude de Jésus ici, vis-à-vis du lépreux.
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