Le récit de la première lecture, on le connaît et cela nous questionne vraiment. Dieu a-t-il attendu que les hommes lui offrent des sacrifices ? Tout le monde semblerait dire non. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est un sacrifice : anticiper les contrariétés en contrariant nos sales manies et s’en trouver plus libre. C’est intelligent, c’est bien visé et c’est tout à fait indiqué durant un temps de carême pour se rendre disponible : disponible aux autres et à l’écoute du Seigneur. Mais le sacrifice auquel se préparait Abraham, c’est autre chose et là se pose une question difficile : Dieu y aurait-il été présent ? Tout le monde christianisé a dû dire ouf en entendant que l’ange du Seigneur est venu au secours de ce qu’Abraham semblait pourtant avoir entendu de Dieu. Le sacrifice du bélier relève encore d’autre chose, d’une désappropriation, d’un détachement qui dit l’attachement à Dieu. Sans Dieu, nous n’obtenons rien, d’accord. Et les sacrifices dans pas mal de religions disent que recevoir de lui n’est jamais s’approprier ce qu’il nous donne. Quand on reconnaît que tout vient de Dieu, la reconnaissance et l’esprit de partage seront toujours plus forts que le sentiment de posséder.
De ce texte effrayant, à cause du sacrifice inhumain qui n’aura finalement pas lieu, ressort du moins la foi exceptionnelle d’Abraham. Pour dire cela, je ne me pose pas la question de ce qui était demandé. Certains ont souligné l’obéissance sans défaut d’Abraham. Ce n’est pas pour cela qu’Abraham n’aurait plus reconnu en Isaac la promesse. Mais il est prêt à payer du prix de la douleur d’une perte immense sa fidélité à Dieu. [Deux réflexions à ce sujet.
– On entend souvent parler de valeurs chrétiennes. On évoque parler des types d’attitudes importantes au niveau moral. Obéir à quelqu’un, lui rester fidèle, respecter une vie qui est inestimable, parler en vérité et agir dans la justice et s’en faire le garant avec tout ce qu’on est. C’est plus que miser sur des valeurs pour viser une qualité morale de notre vie. L’attitude d’Abraham est de cet ordre-là. Vivre en croyant, plus que trouver des valeurs qui servent de balises, c’est découvrir un ancrage dans l’histoire, dans une histoire d’alliance et de communion.
– Cette histoire est rebutante avec l’idée du sacrifice d’Isaac, on pourrait faire le lien quand on entend des commentaires sur des catastrophes qui touchent des innocents et qu’on relève aussi que Dieu laisse faire cela.] La vie est souvent cruelle, injuste : bien des pourquoi restent sans réponse. Dieu ne répond pas. Certains ont accusé la foi de donner des illusions. Mais la foi n’est pas une illumination où nous prendrions nos rêves pour la réalité. Le Royaume des cieux n’est pas le temps de la récompense ou le tirage des lots de consolation. La foi nous fait nous demander jusqu’où nous serions fidèles au Seigneur dans les épreuves. Les épreuves de la vie sont des épreuves pour notre relation à Dieu. Et ici, on touche un point abordé aussi par l’évangile d’aujourd’hui.
L’épisode de la transfiguration ne s’arrête pas dans la paix, comme si finalement, Pierre avait quand même planté ses trois tentes. Loin de là. La foi en Dieu n’est pas à ce niveau-là. Que peut-on dire de l’amour de Dieu quand on est ébloui par une lumière, quand on ne peut pas vraiment comprendre ? Jésus demandera aux disciples, à ce moment-là, de garder le silence. Pour être témoins comme Jésus voudrait qu’ils le soient, ils devront vivre autre chose : l’épreuve de la séparation, un combat et puis l’inattendu qui dit la victoire de Dieu. Le chemin de croix de Jésus, la manière dont il continue à se faire proche de tous les humiliés, les condamnés, sa fidélité à soutenir que Dieu pardonne à ceux qui sont d’avance disqualifiés tout cela dit autre chose à la foi. La foi se fait une lutte pour dire que Dieu n’a rien d’un juge sévère dont il faut avoir peur. Ceux qui avaient suivi Jésus n’oseront pas l’accompagner. Mais désormais, on sait où est Dieu quand des drames touchent la vie : il est avec ceux qui souffrent, avec les victimes, il est là quand il y a un manque en humanité. Voilà ce que les disciples devront dire quand les illusions de puissance de Jésus se seront éteintes, quand ils auront plutôt à vivre dans la communion avec le ressuscité.
Les disciples ne devaient rien dire et ils garderont le silence alors que leur maître, celui qui avait les paroles de la vie éternelle, allait endurer, par amour, une violence qui fait bien malheureusement partie de l’humanité quand les choses vont mal. Il y a bien des situations où il est difficile de prendre la parole et pourtant, on voudrait avoir le recul et relire les situations de crise avec un regard de foi. Non plus la foi éprouvée à l’extrême, sans comprendre, d’Abraham. Mais la foi dans la présence du Seigneur Jésus à nos côtés, c’est bien différent. Les épreuves restent réelles. Mais si notre foi est éprouvée, relions-nous au Christ qui veut porter le poids de nos douleurs. C’est lui notre force, notre soutien dans l’épreuve. Par le baptême, nous sommes les membres du Christ. Jésus n’est pas ici ou là, à chercher chez l’un plutôt que chez l’autre. Son Esprit est aussi ce qui rapproche les membres de son corps et ce qui les fait se soutenir mutuellement. Oui, parce que le Christ est ressuscité, nous pouvons réellement témoigner d’un autre sens qu’ont les épreuves que notre humanité peut rencontrer si nous les vivons avec lui, en nous reconnaissons en lui, en l’accueillant en nous. Notre foi nous y prépare, qu’elle progresse encore durant ce carême pour que notre joie soit encore plus grande en fêtant dans quelques semaines la victoire du ressuscité.
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